Histoire et Patrimoine

Le toponyme Durcet, à rapprocher du Dorset anglais, paraît sous la forme Durcetum dans des textes de la fin du XII ème siècle. Il peut évoquer une voie de passage où se fixe un habitat. Un chemin relie de fait, de La Carneille à Bellou-en-Houlme, la voie joignant les cités fortifiées de Domfront et Falaise au chemin allant de Flers à La Ferté-Macé. Durcet dépend alors de la baronnie de Tournebu et du prieuré de moniales de Villers-Canivet qui présente à la cure. En 1328, Robert de Maigny, écuyer, rend en effet aveu à la baronnie de Tournebu d'un quart de fief de chevalier dont le siège est au logis de Magny. En 1390, ce fief passe par acquêt à Jean Le Forestier, seigneur de Durcet, et la seigneurie de Durcet est transmise à la fin du XV ème siècle par mariage aux Anzeray. L'un d'eux, Claude Anzeray, annexe, à la fin du XVII ème siècle, à la seigneurie de Durcet celles de Landigou et de Sainte-Opportune. Cet ensemble passe par alliance aux Thiboult en 1725.

Durcet relève au religieux, sous l'Ancien Régime, du diocèse de Sées et du doyenné de Briouze, avec une église, rebâtie en partie en 1632, consacrée à Notre- Dame, de l'Assomption puis du Rosaire ; les saints Côme et Damien étant patrons secondaires. Au civil, la paroisse a la singularité de dépendre pour partie de la généralité d'Alençon et de l'élection de Falaise, pour partie de la généralité de Caen et de l'élection de Mortain. C'est un héritage de la période médiévale, le fief de Magny, avec les aînesses de Magny, du Mesnil Logis, du Parsauque, du Poirier et de la Trihannière, était en effet dans la mouvance de la vicomté de Mortain et de la châtellenie de Tinchebray. Cela conduit à une discrimination, quant à la gabelle, entre paroissiens de Durcet : ceux qui demeurent dans la partie sise dans l'élection de Falaise n'ont droit qu'au gros sel, ceux qui habitent dans celle relevant de l'élection de Mortain bénéficient du petit sel ou sel blanc, d'où probablement de la jalousie et du faux saunage.

Lors de la rédaction du cahier de doléances de la paroisse, le 1 er mars 1789, les chefs de famille dénoncent cet impôt sur le sel jugé « désastreux », mais aussi la multiplicité des impôts : « qu'ils soient réduits en un petit nombre et qu'à ce moyen, la perception soit simplifiée ». Mais ils soulignent en préambule l'état de misère de la paroisse inhérent à « l'ingratitude du sol que nous cultivons » et aux « charges sans nombre qui nous exténuent ». Ils récusent l'impôt sur les grandes routes : « Nous ne profitons en aucune manière des grandes routes à cause de notre éloignement et de l'impuissance où nous sommes de faire aucun commerce. N'est-ce pas assez d'avoir à réparer nos chemins publics et nos chemins vicinaux ? » ; les banalités, « une servitude des plus onéreuses », les Durcetois étant contraints de faire moudre aux moulins du seigneur de la Tretière et de la Bardoulière, tout en réclamant que les peines les plus sévères soient prononcées à l'encontre des contrevenants à la police des moulins ; le droit de coutume qui « porte sur les denrées et les marchandises de toutes espèces » et ils se plaignent du coût de la dîme, redevance en nature versée au clergé : « les décimes enlèvent la onzième et la seizième parties de nos fruits ». Ils concluent que « nos fortunes sont médiocres ou plutôt nous sommes sans fortune » et, reconnaissant qu'ils n'hésitent pas à plaider, demandent une « diminution des frais de justice autant qu'il sera possible ». Le plaidoyer est justifié. Le sol étant sablonneux et pierreux, les pâtures sont médiocres, les cultures sont réduites à du seigle, du sarrasin et de l'avoine, et leshabitants sont effectivement pauvres, d'autant que Durcet est alors un « monde plein » avec 783 individus comptabilisés en 1790 pour 9,5 km 2 , d'où une densité de 85 habitants au km 2 , soit un surpeuplement eu égard à la production agricole alors fournie mais aussi au chômage rural.

Les Durcetois accueillent donc favorablement la Révolution française et ses principes d'égalité et de liberté, et leur premier maire, le curé Julien Blaise, est élu en 1790 président régional de la deuxième section du canton de Flers. Avec la réorganisation administrative, la commune naissante de Durcet a en effet été intégrée au département de l'Orne, district de Domfront et canton de Flers qui comprend aussi Flers, Aubusson, La Lande-Patry, Saint-Georges-des-Groseillers, La Selle-la-Forge (première section), La Carneille, Landigou, Ronfeugerai, Sainte-Opportune et Les Tourailles (deuxième section). Leurs élus sont réunis le 5 septembre 1790 pour répondre à une enquête sur les causes de la mendicité. Ceux de Durcet estiment que 123 habitants y ont besoin d'assistance du fait de « la grande population, l'étendue de la municipalité dont le terrain est mauvais et suffit à peine pour nourrir les deux tiers, et le défaut de travail ». Malgré la déchristianisation et la conscription qui font basculer la première section du canton de Flers dans la contre-révolution - d'où le transfert du chef-lieu à La Carneille en novembre 1793 - Durcet reste une commune patriote et « bleue » aux côtés de La Carneille et Landigou, notamment au temps de la guerre civile de la chouannerie.

La suppression du canton de La Carneille en 1801 conduit Durcet à rejoindre celui d'Athis, foyer originel de l'activité textile dans le Bocage. Alors qu'Athis, La Carneille et Sainte-Opportune sont à leur apogée démographique avec l'âge d'or de la fabrique dispersée - de nombreux tisserands à main travaillant alors dans leur cellier au sein du domestic system - que Flers émerge en tant que ville proto-industrielle, Durcet connaît un début marqué d'exode rural. L'activité commerciale est pourtant entretenue par les ancestrales foires des Rameaux et de la Saint-Côme, mais la commune pâtit de son enclavement et ce n'est pas la rectification de la limite territoriale avec Sainte- Opportune au cours des années 1820 qui contribue à retrouver l'effectif de 800 habitants du temps de la Révolution.

Le déclin est toutefois enrayé lors des années 1830, avec une stabilisation à 650 habitants pendant trois décennies, en raison de l'ouverture de la route royale Paris- Granville qui désenclave enfin Durcet avec les carrefours de Gine, du Parsauque et du Rocher, et par l'intérêt manifesté pour la commune par Wladimir Villedieu de Torcy. Celui-ci reconstitue le domaine des seigneurs Thiboult dont il a partiellement hérité. Possédant un quart du sol communal et plusieurs fermes, il s'efforce d'améliorer l'agriculture locale en introduisant des croisés de la race britannique Durham. Les espérances ne furent pas toutefois confirmées car les besoins en nourriture de ces bovins étaient trop importants. Maire de Durcet en 1843, député de l'Orne de 1846 à 1848 et de 1852 à 1859, il fait remettre en état le pavillon du château qui avait survécu à la période d'abandon post-révolutionnaire. Son fils Raphaël Villedieu de Torcy, maire de Durcet de 1852 à 1875, prend le relais au Corps législatif de 1860 à 1869, mais il est alors défait par l'industriel francilien producteur de cartouches Jules Gévelot. propriétaire du domaine de Dieufit à Bellou-en-Houlme. Peu avant son décès en 1883, Raphaël Villedieu de Torcy vend ses biens de Durcet à l'industriel fertois Théodore Salles dont la veuve et les héritiers Gallet font reconstruire le château endommagé par un incendie en 1901.

L'exode rural a alors repris. De 640 habitants en 1866, la population de Durcet passe à 384 en 1911. Sont recensés cette année-là 60 cultivateurs, 48cultivatrices, 20 domestiques de ferme, 13 servantes de ferme, 13 journaliers agricoles, huit journalières agricoles, deux jardiniers, un taupier, soit une large prédominance des actifs du secteur primaire. L'activité textile n'occupe plus qu'un tisserand et trois tisserandes ; la confection, onze couturières, dont une corsetière et une modiste. Chez les hommes, il y a aussi cinq sabotiers, deux menuisiers, deux charpentiers, un bûcheron, deux couvreurs, un meunier et son employé, un charron, un maréchal-ferrant, trois cantonniers, un cocher, un boulanger, un voyageur de commerce, un expert vétérinaire, un curé et un instituteur. Cinq femmes sont employées au château (gouvernante, cuisinière, femme de chambre, concierge et femme de basse-cour) alors que trois épicières, une débitante de boissons, deux servantes et une institutrice complètent les actifs du secteur des services.

À l'initiative du curé Eugène Olivier, qui, en mars 1906, s'était opposé à l'inventaire du presbytère et de l'église avec le soutien de 400 protestataires - d'où l'intervention des militaires pour briser une porte afin que l'agent des contributions puisse remplisse sa mission - la collectivité durcetoise entreprend d'agrandir et rénover le lieu de culte en 1914, ce qui met à jour le 30 avril le caveau situé sous le chœur et les cercueils de la famille Anzeray. La Grande Guerre interrompt le chantier. Il reprend au- lendemain du conflit après que soit édifié à l'emplacement de la croix hosannière de l'ancien cimetière - un nouveau cimetière a été ouvert au tournant du siècle sur la route des Tourailles - un monument aux morts. Inauguré le 3 octobre 1920, il remémore le souvenir des 14 « enfants de Durcet » morts pour la France : Octave Gémy et Gaston Yver disparus le 22 août 1914 à Ethe et Bleid en Belgique ; Georges Ozenne grièvement blessé près de Verdun et mort à l'hôpital de Châlons-sur-Marne le 3 septembre 1914 ; Michel Bidault disparu à Rembercourt-aux-Pots (Meuse) le 7 septembre 1914 ; Henri Laîné, blessé lors de la bataille de la Marne le 6 septembre et décédé à l'hôpital de Rennes le 10 octobre 1914 ; Camille Delaunay blessé dans la Somme à la fin de septembre 1914 et décédé à l'hôpital Beaujon de Paris le 28 octobre 1914 ; Charles Chanu disparu aux Éparges le 11 avril 1915 ; Paul Lebreton tué à l'ennemi en Champagne le 13 septembre 1915 ; Paul Gémy disparu près du fort de Vaux le 26 octobre 1916 ; Émilien Guibout tué à l'ennemi dans la Meuse le 18 mai 1917 ; Victorien Yver tué à l'ennemi dans la Marne le 15 juillet 1917 ; Georges Turmel, victime d'une maladie contractée en service et décédé à l'hôpital de Saint-Aubin-sur-Mer le 25 juillet 1918 ; Daniel Duguey, blessé dans l'Aisne le 25 juillet 1918 et décédé à l'hôpital d'Ognon le 31 juillet 1918 ; Germain Gauquelin, fait prisonnier le 11 juillet 1916 à Fleury-devant-Douaumont et décédé à son retour de captivité le 31 décembre 1918 à l'hôpital d'Auxonne.

Quant à la bénédiction de l'église reconstruite, elle eut lieu le 7 octobre 1923. Durcet recense alors 300 habitants qui, hormis quelques commerçants et artisans, s'activent essentiellement dans une agriculture qui s'est convertie à l'élevage. Les années 1930 sont marquées par l'électrification, l'installation d'une cabine téléphonique, l'adhésion au circuit de poste automobile rurale et la population se maintient autour de 280 habitants. La fête patronale Saint-Côme attire toujours, sur le champ de foire du bourg, les forains, les visiteurs de la région et les gastronomes friands de petite oie. Des courses hippiques animent aussi la commune.

La Seconde Guerre mondiale n'épargne pas Durcet. Le soldat du 36 ème régiment d'infanterie Georges Pétron meurt pour la France des suites de ses blessures le 10 juin 1940, à Imécourt dans les Ardennes, et une réfugiée de la périphérie de Vire, Marie Gahéry, décède au Château le 14 août 1944 des suites d'un bombardement. La Libération, survenue dans la nuit du 17 au 18 août, aurait pu être plus meurtrière. Ayantappris que des centaines de SS se trouvaient dans le secteur de Sainte-Opportune et que le carrefour de Beaulieu était fortement tenu, les libérateurs britanniques de la 11 ème Division Blindée, ne voulant pas subir les mêmes pertes qu'au Pont de Vère et à Aubusson, engagent leurs batteries d'artillerie qui pilonnent les positions allemandes depuis les Hautes Folletières (Flers) et la Provôtière (Landigou), ce qui contraint les Allemands à décrocher. Chars et infanterie peuvent ensuite nettoyer les lieux désertés par l'ennemi.

Grâce au baby boom d'après-guerre, la population de Durcet se maintient lors des « Trente Glorieuses » au-dessus des 250 habitants, mais la mécanisation de l'activité agricole et le malthusianisme conduisent à un nouveau déclin après 1968. Le nombre d'habitants chute à 190 au début des années 1980. L'amélioration des infrastructures et la viabilisation de zones constructibles permettent cependant un rebond avec l'accession à la propriété d'actifs des secteurs secondaire et tertiaire. L'effectif de 300 habitants - soit le niveau de 1921 - est retrouvé en 2015. Les néo-Durcetois s'associent aux anciens pour administrer la commune qui adhère à la communauté de communes du Bocage d'Athis-de-l'Orne, instituée en décembre 1993, puis à Flers Agglo en janvier 2017, revitaliser les festivités d'antan et créer, au milieu des années 1980, la manifestation poétique du Printemps de Durcet, faisant de ce lieu un pôle culturel en milieu rural du Bocage ornais.

- Texte rédigé par Jean-Claude Ruppé

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